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Photo du rédacteurIvanie Legrain

DOSSIER : LE VIOL, LA FACE CACHÉE DE LA GUERRE

Les femmes sont les premières victimes des conflits orchestrés par les hommes. Esclavage sexuel, mariage forcé, stérilisation… Les guerres n’ont jamais épargné les civiles. Malgré les nombreuses prises de parole à ce sujet, la communauté internationale reste majoritairement silencieuse et perpétue l’omerta autour des violences sexuelles, notamment lorsqu'elles ont lieu hors de l'Occident.

Manifestation pour le retour des jeunes filles enlevées par Boko Haram au Nigéria en 2014 © Washington Post

Comme un indicateur de la manière dont les femmes seraient évincées du cours de l’histoire, le premier livre écrit par Hérodote balayait le sujet des violences sexuelles commises par les Grecs lors des guerres médiques. Après la seconde guerre mondiale, quelque deux millions d’Allemandes violées par des hommes de l’armée rouge disparaissaient elles aussi des récits de guerre, tandis qu’une statue glorifiant les soldats soviétiques était érigée à Berlin. Si l’histoire omet continuellement de conter ces agressions, elle les négligent d’autant plus lorsqu’elles surviennent en dehors de l’Occident.


En juin 2014, le massacre des détenus de la prison de Badoush en Irak par l’Etat islamique ébranlait la communauté internationale. Quelques jours plus tard, des centaines de femmes Yézidies étaient enfermées dans ces mêmes cellules, converties de force puis vendues en temps qu’esclaves sexuelles, mais restaient elles invisibles aux yeux du monde. Longtemps perçu comme un simple dommage collatéral, le viol est cependant une arme de guerre à part entière et mérite d’être considéré au même titre que les autres crimes touchant les civils.



UNE ARME DE GUERRE DEPUIS LA NUIT DE TEMPS


Du latin “rapere”, le terme de viol (rape, en anglais) veut initialement dire “emporter avec soi”. Cette définition vient du tristement célèbre enlèvement des Sabines par les soldats Romains pour en faire leurs épouses. Elle n’est pourtant pas limitée au passé : en Syrie, des centaines de jeunes filles sont annuellement enlevées par les djihadistes de l’Etat islamique et vendues comme épouses ou “femmes de réconfort”. De même, en avril 2014 au Nigéria, le groupe terroriste Boko Haram capturait 276 lycéennes pour les marier et “préparer la descendance djihadiste”.


Au même titre qu’un bombardement, les viols sont organisés et perpétrés en haut-lieu afin de répondre à des objectifs précis ; comme en 2017 quand l’armée birmane encourageait l’agression des femmes Rohingyas dans le cadre de son plan de nettoyage ethnique. Ce que l’ONU qualifiera de “plus grande violation des droits des femmes” entraînera alors le viol de plus de la moitié des femmes de la minorité. Pour la journaliste Christina Lamb, “le viol est aussi capable de déplacer des populations entières”. Dans les années 90 en République démocratique du Congo, les milices se disputant l’or usaient du viol afin de faire fuir les civils des régions visées et d’en prendre le contrôle. Par la suite, une étude d’Amnesty International avait révélé que ces viols surgissaient en effet à la périphérie des mines, confirmant l’idée selon laquelle les violences sexuelles incarnent les nouvelles stratégies politiques et économiques en temps de guerre.


© Ib Times

Les forces armées l’ont bien compris, le viol permet d’humilier, de dominer et de détruire les populations civiles. De la même manière que l’on apprend à se servir d’une arme, les soldats sont ainsi formés à violer. Pendant la libération du Bangladesh en 1971, des films pornographiques étaient ainsi projetés dans les camps militaires afin “d’échauffer” les combattants ; et en 1994 au Rwanda, des “bataillons de violeurs” porteurs du VIH et spécialisés dans le viol avaient vu le jour dans l’unique but d’éliminer les femmes Tutsis ; soit par la violence de l’acte, soit par la maladie.



UNE RÉALITÉ QUI DÉPASSE LES FRONTIÈRES DE L’EUROPE


Les viols de guerre n’épargnent aucun continent. Il sont couramment associés aux pays d’Afrique et d’Asie, alors que chaque territoire engagé dans un conflit a son lot d’actes illégaux à l’égard des femmes. Dans les années 30, la guerre civile espagnole témoignait de l’adhésion des pays européens à ces pratiques : en 1936, les troupes du général Franco recevaient ainsi l’ordre de “faire régner la terreur”. Des milliers de femmes étaient violées, la poitrine gravée au couteau et le crâne rasé en raison de leur soutien aux républicains. Durant trois années, les soldats appliquèrent la politique de l’abus sexuel, largement soutenue par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, tandis que la France et le Royaume-Uni décidaient eux d’une “non-intervention commune” sur l'ensemble de la guerre et donc, de ses conséquences.


Les conflits des années 1990 n’ont eux non plus pas épargné l’Europe. De 1992 à 1996, les soldats serbes tentèrent d’exterminer les populations musulmanes de Bosnie avec qui ils cohabitaient dans l’ex-Yougoslavie. En quatre ans, environ 60 000 femmes musulmanes ont été victimes d’agressions sexuelles d’une violence inouïe. Des “camps de viol” virent le jour, dans lesquels des femmes enceintes étaient séquestrées jusqu’à leur terme ; permettant aux soldats serbes de disposer à volonté de leurs captives, tout en assurant leur descendance. La violence du génocide n’échappa pas aux journalistes et aux historiens et, pour la première fois, l’Occident fut forcé de reconnaître l’existence des viols de guerre sur son territoire.


Angelina Jolie lors d'une conférence sur les violences sexuelles de guerre à Sarajevo © SIPA

LA JUSTICE, LE DESSUS DE L’ICEBERG


Le viol est reconnu comme un crime de guerre par la communauté internationale depuis 1919. Pourtant, seules deux condamnations ont été prononcées à l’heure actuelle. En 1993, l’ONU créait le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, entraînant la première condamnation au monde pour viol de guerre en tant que crime contre l’humanité. Cinq ans plus tard, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda prononçait la condamnation de Jean-Paul Akayesu pour viol de guerre, cette fois en tant que crime contre l’humanité et crime de génocide. C’est à l’heure actuelle le seul tribunal considérant les actes de violences sexuelles comme constitutifs d’un génocide.


Depuis 1998, de nombreuses condamnations pour “organisation de viol de guerre” ont été prononcées, mais plus jamais pour viol de guerre en tant que crime contre l’humanité. Dans la plupart des cas, les affaires aboutissent lorsque la majorité des juges et des magistrats sont des femmes ; comme ce fut le cas pour les deux tribunaux pénaux internationaux. La plupart du temps, les viols de guerre sont passés sous silence, comme en Espagne où les violences commises lors de la guerre civile furent effacées grâce au Pacte de l’oubli, décrété en 1977 et toujours en vigueur aujourd’hui. En Bosnie-Herzégovine également, le Vilina Vlas, l’un des principaux camps de viol utilisé lors du génocide, est devenu un hôtel spa touristique très convoité. Plus récemment, des accusations de crimes sexuels commis par les casques bleus de l’ONU dans différents pays d’Afrique ont été balayées par des enquêtes oscillant entre corruption et protection des accusés.



L’échec de la communauté internationale à traduire les criminels en justice témoigne de son refus de reconnaître l’existence de ces crimes et leur impact sur les victimes. Les violences sexuelles en temps de guerre ne font pas partie des priorités des gouvernements, alors même qu’elles ont des conséquences physiques et psychologiques avérées sur les populations. La difficulté des victimes à s’exprimer ainsi que la difficulté à identifier les agresseurs font du viol de guerre un crime compliqué à condamner. Pourtant, beaucoup pensent qu’il peut être évité au même titre que les utilisations d’armes chimiques, s'il est attaqué avec la même détermination. Mercredi 1er novembre 2023, le gouvernement allemand approuvait un projet de loi autorisant la justice du pays à “poursuivre les violences sexuelles ayant lieu dans n’importe quelle zone de conflit”, et ce grâce à la compétence universelle permettant aux pays de juger des crimes commis sur un autre territoire.





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