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Photo du rédacteurInès Verly

DOSSIER : LE SYNDICAT ÉTUDIANT L’UNI, CAS D'ÉCOLE DE L’INSTRUMENTALISATION DU CORPS DES FEMMES

Le 12 février 2023, l’Union Nationale Inter-étudiante (l’UNI), premier syndicat de la droite étudiante, diffuse sur Twitter des images de femmes voilées intégralement sur les campus de l’Université de Lille. Cette publication provoque de vives réactions médiatiques et ravive, une nouvelle fois, le débat sur la laïcité.

Lorsque l’UNI dévoile les photographies de ces femmes voilées intégralement sur les campus universitaires de Lille, les réactions sont multiples. D’un côté, ceux qui y voient un obstacle à la laïcité et la loi française en dénonçant souvent “l’islamisation”. Et de l’autre, ceux qui s’offusquent à la vue du mode opératoire flirtant avec l’irrespect du droit à l’image. Pourtant, il est impossible de convoquer ce recours légal, les photos ne montrant pas un visage reconnaissable des jeunes femmes.


Les trois clichés présentant une femme sur le forum du campus de Pont-de-Bois, une autre priant dans un recoin désert du campus, et une dans une salle informatique du campus de Moulins sont même accusés d’être des clichés truqués. En effet, selon certains internautes et certaines rumeurs, elles pourraient être le fruit d’une mise-en-scène du syndicat connu pour des pratiques parfois discutables. Un des responsables de l’antenne lilloise, Mathéo Tessa, contacté par Sororité, affirme pourtant qu’il s’agit bel et bien de véritables photos, prises par d’autres étudiants militants de l’UNI. Il explique que la création de fausses photos implique “trop de risques” et qu’elle ne serait “pas bonne pour [leur] image”, soulignant le manque d'intérêt d’une mise-en-scène.


Très vite, ces photos connaissent une certaine popularité sur les réseaux sociaux et des médias tels que BFM TV ou CNEWS s'emparent vite de la question. Ainsi, les photos de ces trois jeunes femmes se voient faire l’objet de discussions sur les plateaux télévisés et l’UNI en profite alors pour promulguer un discours dénonçant “l’entrisme islamique au sein de l’Université”. Ces femmes deviennent un prétexte pour l’affrontement idéologique, comme l’est souvent la question du corps des femmes. Ces photos servent alors de support pour des débats entre syndicats étudiants et la profusion de discours politiques. 


L’Université de Lille s’est finalement exprimée le 14 février, expliquant que les cas recensés de voile intégral étaient très vite saisis par l’administration, amenant parfois même jusqu'à l'exclusion.



ENTRE CONFUSIONS, AMALGAMES ET PROPAGANDE IDÉOLOGIQUE


Lorsque l’on interroge l’UNI au sujet des polémiques de voile intégral, les expressions “islamo-gauchisme” et "entrisme islamique” ne se font pas attendre. Le discours est bien rodé et on se prend facilement au jeu rhétorique : des grands concepts sont convoqués, et le raisonnement peut même sembler logique. Mais en y regardant de plus près, certaines confusions sont faites. L'UNI met en cause l'inaction de l'Université de Lille face à la pratique illégale du port du voile intégral. Le syndicat évoque même “une soumission de l’administration et des professeurs” qui auraient, dans certains cas, “une proximité avec l’islamo-gauchisme”.


Mais, en réalité, quels liens unissent islamo-gauchisme et port du voile intégral ?Concrètement, aucun. Bien que les contours de l’islamo-gauchisme soient flous, il semble important de rappeler que ce terme est sujet à débats car stigmatisant. Cette expression est très souvent utilisée pour injurier le corps enseignant (entre autres), et l’UNI s’inscrit ici dans une forme de tradition politique de la droite. Il s’agit avant tout d’une rhétorique utilisée par le syndicat pour justifier son discours sur la souplesse de l’Université de Lille vis-à-vis de ”l’entrisme islamique”, une idée dont il est souvent question dans leurs revendications. Dans les faits, aucun mouvement politique de gauche ne soutient le port du voile intégral, illégal depuis 2010, et rares sont les personnalités à encourager le port de la niqab (voile intégral en arabe). Bien sûr, le port du voile intégral peut-être lié à des problématiques politiques de laïcité, de sécurité et de libertés individuelles, mais la lier à l’islamo-gauchisme ne fait pas véritablement sens et reflète plutôt la peur de voir l’Islam gagner du terrain en France. Ainsi, cela montre bien que les photos publiées par l’UNI sont avant tout l’occasion d’amener le sujet de l’Islam sur le devant de la scène médiatique.


Autre concept convoqué sans grande précision : la Charia. Mathéo Tessa indique que l'interdiction de la niqab est légitime, puisqu'elle serait le fruit de la Charia : “Le voile intégral, on le retrouve dans les gouvernements du Moyen-Orient qui appliquent la Charia”. Le voile intégral est parfois lié à la Charia, un ensemble de principes basé sur l'Islam régissant divers aspects de la vie des musulmans. Cependant, cette connexion est souvent floue et sujette à interprétation. En réalité, l'obligation de porter le voile intégral découle souvent davantage d'interprétations politiques de l'Islam que d'un principe religieux clair. En somme, ce qu’il transparaît de ce discours, c’est un manque de connaissances traduisant, une nouvelle fois, une xénophobie latente.



L'INFATIGABLE DÉBAT


Avec sa chasse au voile intégral, l’UNI s’inscrit dans une autre tradition française : l’obsession pour le voile. Le culte musulman fait l’objet d’un débat infatigable depuis déjà plusieurs années. Durant la période de colonisation algérienne par exemple, le voile était associé à la soumission et avait une dimension archaïque. Mais cette “bataille du voile” (appelée ainsi par Frantz Fanon dans L’an V de la Révolution algérienne, 1959) ne semble s’être jamais essoufflée et, depuis les années 90, la question du hijab refait très régulièrement surface dans les médias. Les femmes musulmanes restent les cibles numéro un de certains politiques et médias avec une stigmatisation prenant diverses formes, la plus récente étant celle autour de la polémique sur l’abaya.


L’idée de sauver les femmes musulmanes de l’emprise du patriarcat (en la libérant de n’importe quel bout de tissu) est le dénominateur commun de toutes les stigmatisations. Quand il y a plus de 20 ans, le voile a commencé à devenir une problématique politique et médiatique, il était alors impossible que le voile (intégral ou non) soit le résultat d’une décision librement choisie par les femmes. Elles ne se couvraient uniquement parce qu’elles étaient soumises à leurs barbares de père, frère, oncle ou grand-père. Une idée non seulement remplie de préjugés mais sexiste et infantilisante pour les femmes musulmanes. Cette dynamique du sauveur blanc s’embrique avec la définition francaise de la laïcité, considérée par les autres pays comme assez stricte. En effet, le gouvernement refuse de considérer le voile comme une liberté individuelle, ainsi il est soumis à tout un tas de restrictions limitant la diversité culturelle et religieuse. C’est précisément dans ce contexte que l’on peut intégrer le discours de l’UNI qui dit défendre un “combat important” en s'intéressant à “la défense des minorités, en l'occurrence les femmes”, toujours selon Mathéo Tessa. Le corps des femmes devient le meilleur outil pour lutter politiquement.



LE CORPS FÉMININ, ENJEU POLITIQUE MAJEUR


Le récent exemple de la constitutionnalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) nous l’a de nouveau démontré, le corps des femmes ne cesse d'être un sujet politique. Si le corps de la femme peut se révéler être un objet de lutte féministe majeur, il est aussi source d’instrumentalisation politique. Le slogan “Mon corps, mes choix” n’est pas apparu par hasard. Le viol, les mutilations génitales, la prostitution, l'habillement, la maternité et la grossesse : dans toutes ces problématiques autour du corps féminin, on trouve une dimension politique. Les femmes ont vu leurs corps subir toutes sortes de réglementations et être le fruit de multiples débats, sans forcément qu’on leur laisse l'occasion de s’exprimer. C’est ce qu’il se passe lorsqu’il est question de voile. La place laissée aux femmes musulmanes dans l’espace médiatique est si petite qu’il est difficile de se souvenir d’un témoignage provenant d’une de ces dernières. Plutôt que de les intégrer à ce drôle de débat public, on préfère les stigmatiser et les marginaliser, ce qui renforce ainsi les préjugés et permet à l’islamophobie de s’installer.


A Lille, les syndicats étudiants tels que l’UNEF ou Solidaires Étudiant.e.s ont rapidement réagi aux publications de photos avec des communiqués publiés sur les réseaux sociaux. Tous deux ont dénoncé un discours islamophobe qui détourne l’attention des véritables problématiques étudiantes, comme la précarité par exemple. Si ces syndicats remettent en question les pratiques de l’UNI, ils participent tout de même à l’instrumentalisation politique des femmes musulmanes puisqu’ils sont ici dans un contexte d’opposition politique.


Prendre des photos de ces femmes sans leur consentement, les publier sur les réseaux sociaux pour justifier un discours politique sur “l’entrisme islamique au sein de l’université” n’a qu’un seul effet : objectiver la femme, et ici la femme musulmane. La publication de ces photographies n’avait rien d’obligatoire, mise à part la recherche d’attention médiatique et enlève à ces femmes une certaine dignité car derrière les voiles, il y a des corps, des femmes. 



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