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Photo du rédacteurInès Verly

DOSSIER : FEMME VIE LIBERTÉ, UNE LUTTE SANS FIN ?

Dernière mise à jour : 16 avr.

Un peu plus d’un an après le meurtre de Mahsa Jina Amini, le mouvement Femme, Vie, Liberté prend une nouvelle tournure en Iran. Le Prix Nobel de la Paix, décerné vendredi dernier à Narges Mohammadi, insuffle un nouvel espoir aux femmes iraniennes. L'occasion de revenir sur une lutte féministe bouleversant le totalitarisme religieux et restructurant la société.

© Mircea Moira

Au commencement, il y a un meurtre, celui de Jina Amini*, par la police des mœurs, à la sortie d’une station de métro en raison d’un mauvais port du voile. Ses “vêtements inappropriés” lui valent d'être battue à mort par les autorités. Après trois jours passés dans le coma, elle décède des suites de ses blessures. C’est d’abord à Saqqez (Kurdistan), ville originaire de Jina Amini, que les premiers mouvements de révoltes se font entendre. Mais très vite, l'étincelle se transforme en véritable brasier et gagne Téhéran. Alors, tout l’Iran s’enflamme. C’est le début d’une longue période de manifestations ponctuées de “Mort au dictateur !” scandé par les Iraniens et de voiles fièrement ôtés. Une période de répression très violente démarre. Le “Vendredi Sanglant”, le 30 septembre 2022 à Zahedan en restera l'épisode le plus marquant pour la population, faisant une centaine de morts. En outre, on assiste au retour d’un slogan que l’on croyait oublié : “Femme Vie Liberté”.



LE KURDISTAN, TERRE DE LUTTE FÉMINISTE

Le Kurdistan iranien joue un rôle central dans le mouvement Femme Vie Liberté. Il est quasiment le berceau du soulèvement. Non seulement parce que la figure majeure du mouvement, Jina Amini, en est originaire, mais aussi en raison de son antécédent de contestations féminines. Les rapports entre le Kurdistan et l’Iran sont particulièrement tendus depuis le début du XXe siècle. En 1979, une rébellion des séparatistes kurdes naît en réaction à l'avènement de la république islamique iranienne. Instantanément, les femmes kurdes se mobilisent. Elles deviennent alors de véritables combattantes et leur rôle n’est pas négligeable au sein de la rébellion. Il est important de rappeler que cet enrôlement est aussi pour elles une façon d'échapper aux mariages forcés. Mais quoi qu’il en soit, le Kurdistan est historiquement une terre de lutte féminine.


Le slogan “Jin, Jiyan, Azadî” (Femme, Vie, Liberté en kurde) en est d’ailleurs originaire. Il naît au sein du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), le parti de Abdullah Öcalan, qui laisse une place majeure au féminisme. Après la mort de Jina Amini, le slogan s’impose unanimement en Iran. Le slogan est traduit en perse et tous les Iraniens se l’approprient, le kurde s’efface certes, mais pour laisser place à l’unité de l’opposition au régime de Khamenei. En plus d'une politique religieuse très stricte, le régime repose sur la xénophobie. Cette union est donc la grande force du mouvement. Un changement des mentalités s'opère, le Kurdistan, doucement, gagne en reconnaissance. L’idée de l’État islamique chiite et d’une nation perse supérieure aux autres vacille. Grace au mouvement Femme Vie Liberté, la perspective d’un Kurdistan iranien reconnu pourrait bien grandir.



UNE MISE EN SCÈNE DE L’ABSENCE DE PEUR

Hannah Arendt en a fait une de ses principales théories : la peur est un élément fondamental du totalitarisme. Ce qui a beaucoup frappé les occidentaux durant les mobilisations du mouvement Femme Vie Liberté, c’est le courage des jeunes iraniennes. Les images de ces femmes brûlant leur voiles devant les forces de l’ordre et ce, malgré toutes vagues de répressions, les méthodes d'emprisonnement du régime (nombreuses sont les violations des droits humains) ont touché et se sont beaucoup diffusées. Pourtant, comme le rappelle Chowra Makaremi (Femmes! Vie ! Liberté ! Écho d’un soulèvement révolutionnaire en Iran), au sein de ces révoltes c’est une “mise en scène de l’absence de peur”. Ce n’est pas seulement le geste de défi qui compte, c’est le fait de ne plus avoir peur de ce geste. Les Iraniens et Iraniennes l’ont très bien compris et leur opposition se fonde sur cette idée.



LA CONDITION POUR LA LIBERTÉ DE TOUT UN PEUPLE

Né dans un esprit de sororité, Femme Vie Liberté a été très rapidement et amplement suivi par les hommes qui participent aux manifestations et montrent leur désaccord avec les décisions du guide suprême. L’égalité homme-femme devient alors la condition nécessaire d’émancipation de tout le peuple. C’est là qu'est l’autre force du mouvement et que réside toute son unicité. Il s’agit d’un soulèvement de femmes qui entraîne une révolution nationale et religieuse. Le hijab de Jina Amini est devenu la métonymie du régime islamique : refuser sa mort c’est refuser le régime qui oppresse les habitants de l’Iran et les contraint à une schizophrénie culturelle depuis des décennies.


Un mouvement qui fédère donc tous les genres, toutes les ethnies mais aussi toutes les générations. Les collégiennes arrachent les photos de Khomeini, les lycéennes et étudiantes se montrent tête dévêtue et hurlent leur colère, en somme, toute la jeunesse s’est mobilisée, sans gradation dans les actes. Mais elle n’est pas la seule, la figure des mères martyrs, les mères de tous les morts pour la révolution, est très importante dans le mouvement. Comme les mères de la Place de Mai en Argentine, la connotation de leur résistance retentit à une échelle mondiale, renforcée par la dimension sentimentale. La position du martyr est au cœur de toutes contestations iraniennes, celle des mères est toute naturelle puisqu’elles prennent très régulièrement la parole pour dénoncer les actes du régime et contester les dires mensongers du gouvernement quant à la mort de leurs enfants.


L'Iran se trouve à un moment charnière de son histoire. Certains estiment que ces craquellements du régime conduiront forcément à une révolution, d’autres estiment qu’elle est déjà en cours. Mais tous les Iraniens semblent s’accorder sur l’idée que les choses doivent changer et que le régime ne pourra plus jamais être le même. “Le compte à rebours a commencé le jour où ils ont tué Mahsa" a dit Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights.



*La rédaction fait le choix d’utiliser le prénom Kurde de “Mahsa Amini”, c'est-à-dire son véritable prénom (Jina). L'État iranien oblige les Kurdes à avoir un prénom “officiel” d’origine perse et non kurde.



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