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Photo du rédacteurIvanie Legrain

L’ÉVÈNEMENT, RÉCIT D'UN AVORTEMENT CLANDESTIN

Dernière mise à jour : 31 oct. 2022

Lauréate du Prix Nobel de littérature 2022, Annie Ernaux défend régulièrement les droits des femmes. Dans son œuvre L’évènement, parue en 2000, elle raconte son avortement, illégal dans les années 60. Une œuvre plus actuelle que jamais, dans un contexte régressif concernant le droit à l’IVG.

© L'ivresse littéraire

L’année 2022 a vu naître de nombreux obstacles à l’avortement. Aux États-Unis, en Italie ou encore en Pologne, le droit à l’IVG est remis en question. Pour rappel, environ 25 millions d’avortements clandestins sont réalisés chaque année dans le monde, et 5 millions d’entre eux finissent par une hospitalisation d’urgence. Comprendre les risques de ces pratiques afin de mieux protéger ce droit fondamental, c’est l’objectif que s’est lancée Annie Ernaux en rédigeant ce récit ; récit basé sur ses propres notes, prises au cours de cet évènement.



RACONTER POUR TÉMOIGNER DE LA RÉALITÉ

L’histoire commence avec l’absence de menstruations, rapidement suivie d’un rendez-vous chez le gynécologue qui confirmera à la jeune femme son état. Dans son carnet de notes, elle écrira « Je suis enceinte, c’est l’horreur ». Décidée à avorter, elle se met en quête de médecins dits « marrons » ou de « faiseuses d’anges » ; des personnes pratiquant des avortements clandestins contre une certaine somme d’argent. Commence pour la jeune Annie, alors âgée de seulement 23 ans, un véritable péril ; confrontée au jugement des médecins -dont l’un lui prescrira un traitement visant à empêcher les fausses couches- mais aussi à la criminalisation de l’avortement, pratique sévèrement punie par la loi à l’époque. Cachant sa grossesse à ses proches et se déscolarisant peu à peu, elle tentera même de se faire avorter seule à l’aide d’une aiguille : Annie Ernaux le relève elle-même, en faisant ça, elle aurait pu mourir d’une septicémie.


Trois mois plus tard, elle trouvera finalement de l’aide auprès d’une étudiante ayant elle aussi vécu un avortement. Elle lui fournira le nom d’une faiseuse d’anges et lui décrira les étapes de l’avortement, mais surtout, elle lui prêtera la somme d’argent requise. C’est sur ce lien entre femmes qu’appuie Annie Ernaux tout au long du récit ; du soutien reçu par cette fille aux risques pris par la faiseuse d’anges pour permettre à de parfaites inconnues d’avorter. Il faudra poser deux sondes à la jeune femme pour que l’avortement se produise. « Des douleurs », « trop de sang », « je pensais que j’allais mourir d’une hémorragie » sont tant de termes employés par Annie Ernaux pour décrire ce souvenir bouleversant qui la marquera à jamais. Cet avortement se terminera à l’hôpital pour une opération d’urgence, comme la plupart à cette époque. Plus tard, un médecin lui affirmera qu’elle s’en est « bien sortie ». Pourtant, bien qu’elle ait survécu, Annie Ernaux l’affirme ; une partie d’elle est morte cette année-là.



LA VIOLENCE DE L’AVORTEMENT CLANDESTIN

Dans son récit, l’auteure met un point d’honneur à démontrer la violence morale subie par les femmes ayant recours illégalement à un avortement. Entre le manque de soutien de la part de certains proches et les reproches faites par le corps médical, Annie Ernaux rend compte d’une réalité : l’avortement est considéré comme un crime dont il vaut mieux ne pas parler. Peu soutenue par son compagnon de l’époque qui la « laisse se débrouiller », la jeune femme traverse seule cette période bouleversante. Durant l’hospitalisation qui suivit l’avortement, on lui « hurlera » dessus à plusieurs reprises ; pour lui faire promettre de ne plus recommencer ou simplement pour la faire taire.

La criminalisation des femmes qui avortent est réelle. Traitée sans aucune empathie lors de son opération, Annie écrit quelques jours plus tard « Je regarde mes jambes […] ce sont celles d’une autre femme ». On lui a volé son corps, sa vie de jeune fille. Même la religion l’a abandonné. Dans une interview accordée à France 2 en 2000, l'écrivaine explique : « J’avais un sentiment de culpabilité. Non pas d’avoir avorté, mais de ne pas avoir écrit là-dessus ». Écrire pour ne pas oublier, mais aussi pour faire comprendre ; voilà l’objectif d’Annie Ernaux.


Dans son livre, Annie Ernaux décrit les risques encourus, les dangers et les conséquences de l’avortement. Elle emploie des termes crus, témoins d’une réalité encore d’actualité dans certains pays. Son histoire, c’est celle de milliers d’autres femmes, des femmes qui risquent leur vie pour en rester maîtres. En 2021, le livre a été adapté au cinéma par Audrey Diwan. Une chose est sûre, mettre des images sur ces mots permet de sensibiliser autrement à la protection de ce droit fondamental.



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